Guarda i video sul colectif de Tarnac: https://www.youtube.com/watch?v=DOVx2zU-xXg http://tempsreel.nouvelobs.com/ 08 novembre 2014
De Tarnac à Sivens: l'insurrection revient Par Aude Lancelin
Le groupe de Tarnac est de retour avec un livre qui éclaire les luttes à l'oeuvre, de la Puerta del Sol au barrage de Sivens.
Avec ses paroles nettes et butées, ses lunettes et sa chemise à carreaux de premier de la classe, Mathieu Burnel aura donné quelques instants un visage inattendu pour l'opinion au "groupe de Tarnac" en apparaissant sur le plateau de Frédéric Taddeï le 31 octobre dernier. Venu défendre la mémoire de Rémi Fraisse, jeune militant écologiste tué par la police, il y malmena au passage une ex-ministre et un ex-nouveau philosophe avant de proclamer :
Il y a une expérimentation politique qui est là et qui commence." Mathieu Burnel : "L’insurrection est arrivée... par ce-soir-ou-jamais
Nouvelles résistances Radicalité du propos et classicisme du style, comme un revival du charme situationniste toujours aussi opérant. Surgi sous les feux de l'actualité en 2007, à la faveur de l'incarcération ubuesque de Julien Coupat sous un régime sarkozyste en mal d'ennemi public, ledit groupe était revenu à l'étude des classiques de la révolution et à la réfection de granges corréziennes.
Le phalanstère ressort du silence ces jours-ci à l'occasion de la parution d'"A nos amis" (La Fabrique), un libelle qui, à défaut de cohérence totale, sait donner une grande profondeur de champ et une vraie puissance poétique aux nouvelles résistances à l'œuvre, depuis les mouvements Occupy jusqu'à la place Tahrir et aujourd'hui aux événements de Sivens.
Une même lutte "Les insurrections finalement sont venues." Tel est l'acte de foi osé que pose d'entrée le nouveau livre du Comité invisible, coécrit par Julien Coupat et quelques-uns de ses camarades. A les en croire, les irruptions successives de la foule sur le devant de la scène observées depuis 2008, que ce soit en Tunisie, en Egypte, lors des événements de Taksim en Turquie, ou encore au Québec et au Brésil, ne seraient qu'une seule et même "séquence historique". Sur tous ces points du globe, une même lutte serait en cours. Un même désir de destituer le mélange oppresseur de finance, de cybernétique et d'ordre policier qui tient aujourd'hui lieu d'ordre mondial. Les gouvernements matérialisant localement cette puissance planétaire ne seraient que des leurres en soi dérisoires. Concentré dans des figures de multinationales comme Google, le vrai pouvoir ne pourrait être atteint que par les coups portés à la mise en réseau de la planète entière, à la progression inexorable des flux, à l'arraisonnement généralisé des êtres et des territoires si l'on osait employer les mots de Heidegger.
Blocage des grands projets d'équipement D'où l'importance, parfois inexplicable pour certains observateurs, prise au sein de ces nouveaux mouvements par le blocage des grands projets d'équipement, que ce soit le refus de voir advenir une ligne à grande vitesse dans le val de Suse, celui de voir sortir de terre un aéroport à Notre-Dame-des-Landes ou un barrage dans le Tarn. Pour certains "zadistes", il y va là d'un refus authentiquement écologiste du saccage environnemental. Pour d'autres, ces revendications s'avèrent un simple abcès de fixation, l'occasion d'exprimer un dégoût pour la vie de salariés précaires sous perfusion technologique qui leur est promise. Loin de se résumer à la seule réactivation de vieilles scies anticonsuméristes ou décroissantes, les thèses du Comité invisible avancent souvent à rebours des chapelles de la gauche et de l'extrême gauche.
Antiglobalisation Ainsi le slogan mélenchonien ("mettre l'humain au centre") suscite-t-il leurs sarcasmes. Ainsi la hantise de la morale et l'incapacité à reconnaître des vérités éthiques que cultive la gauche sont-elles tenues ici pour des infirmités dont les forces fascistes profitent pleinement. Ainsi la figure du militant pacifiste non violent comme celle du casseur radical sont-elles décrétées comme deux formes jumelles d'impuissance. On note même dans "A nos amis" de vraies percées théoriques, à commencer par un morceau de bravoure inaugural sur la nouvelle gestion du capitalisme par la crise perpétuelle. Rarement on était allé aussi loin et profond sur le sens à donner aux événements survenus depuis l'épisode mondial des subprimes, c'est-à-dire depuis le moment où la réalité elle-même a commencé à justifier point par point les intuitions des insurgés antiglobalisation des années 1990, de Gênes à Seattle.
Morgue anarchiste esthétisante Reste que, chez ceux qui vécurent les années 1970, les années rouges, Julien Coupat et ses amis sont loin de remporter tous les suffrages. L'un d'eux voit ainsi dans le Comité invisible les héritiers d'une vieille morgue anarchiste esthétisante, mêlant une convivialité idéalisée de province à une géopolitique mondiale imaginaire, impropre en tout cas à faire advenir une action réellement révolutionnaire, et plus encore à la mener à bien. Un autre ancien militant souligne de son côté que les événements de Sivens, loin de symboliser une ère de révoltes nouvelles, évoquent les grandes marches contre la centrale Superphénix de Creys-Malville en 1977, qui se soldèrent elles aussi par le décès d'un manifestant sous l'impact d'une grenade policière. Les années passent, la révolution mondiale patiente toujours. Au barrage de Sivens, le 26 octobre dernier, l'histoire aura toutefois cruellement prouvé, contrairement au fameux propos de Marx, que c'est bien comme tragédie et non comme farce que les événements peuvent survenir deux fois. |