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9 janvier 2015

Rester Charlie
Par Le blog de François Euvé

Dans une quasi-unanimité, la population française, les autorités politiques et religieuses, les gouvernements étrangers, le Saint-Siège lui-même, ont dénoncé la monstruosité de ce qui a été commis à Paris le 7 janvier. Comme d’autres pays, la France est touchée par un terrorisme qui n’hésite pas à recourir aux méthodes les plus brutales. La cible n’est pas prise au hasard : la presse satirique la plus engagée contre les intégrismes de tous bords.

Après le temps de l’émotion vient le temps de la réflexion. Que faire maintenant ? La peur peut nous envahir. Un syndrome sécuritaire peut s’emparer de la population et générer des attitudes de méfiance réciproque. La violence peut progresser si, au lieu de la cohésion, ce sont les extrêmes qui se renforcent. Il importe de se garder des amalgames.

On pouvait discuter les partis-pris de Charlie-Hebdo. On pouvait se sentir mal à l’aise devant tel ou tel dessin ou déplorer des images au goût douteux, leur anticléricalisme désuet, leur machisme, voire leur racisme. On pouvait, comme nous l’avions fait en octobre 2012, critiquer leur sens de la provocation qui en faisait la cible des extrémistes (leur obstination à publier des caricatures du Prophète qui ne pouvaient que déclencher des mouvements de colère dans le monde musulman). Il ne faudrait pas maintenant faire de Charlie Hebdo une icône de la République. Ils auraient sans doute été les premiers irrités de cette sacralisation.

Il n’empêche qu’au-delà des personnes, c’est une manière de regarder le monde et les hommes qui est atteinte. Charlie s’attaquait à ce qu’ils considéraient comme des « systèmes », des institutions closes, dogmatiques, intolérantes. On pouvait, encore une fois, discuter leurs choix, trouver que leurs cibles n’étaient pas les mieux choisies. Il fallait alors en discuter avec eux. Autant que je sache, ils ne refusaient pas le débat. Il n’en reste pas moins que, pour ces humoristes, c’était des systèmes qui étaient visés et non des personnes. Ils savaient pertinemment les risques qu’ils encouraient à s’attaquer à certains systèmes plus qu’à d’autres.

Face aux systèmes, aux institutions, l’humour est indispensable, car ils sont toujours en danger de pétrification, de dogmatisation, de fermeture sur soi. S’il s’agit d’institutions religieuses, l’effet est aggravé par la sacralisation de leurs instances. Comme la tradition juive le rappelle, l’humour a une vertu anti-idolâtrique. Toutes les idoles, à commencer par celles qui nous fabriquons dans nos propres institutions, doivent être renversées. L’humour corrosif est indispensable quand la religion devient totalitaire.

À propos des caricatures de Charlie Hebdo, on a parfois parlé de « blasphème ». Mais quel est le vrai blasphème ? Il faut se rappeler que la seule occurrence du mot dans le Nouveau Testament se rencontre dans l’épître de Jacques. Ceux qui blasphèment le nom de Jésus sont ceux qui « privent le pauvre de sa dignité » (Jc 2,6-7). Le sacré n’est pas tant la représentation de Dieu que Son image la plus authentique, la personne humaine (« tout homme est une histoire sacrée »), surtout la plus vulnérable. S’en prendre à ces personnes est infiniment plus grave que de caricaturer des chefs religieux, aussi respectables soient-elles par ailleurs. Dans l’article précédemment cité, Nathalie Sarthou-Lajus distinguait l’injure du blasphème. C’est la première qui mérite condamnation plus que la seconde, car l’injure « blesse une personne, sa réputation, son intimité ».

Sans doute l’Évangile demande-t-il de ne pas « scandaliser » les petits. Certaines images peuvent être blessantes, non par elles-mêmes, mais pour ceux qui les regardent sans distance. C’est là que doit intervenir le sens critique qui fait tant défaut parmi les fondamentalistes ou les puritains. Par défaut de réflexion, nous risquons de devenir des puritains qui prennent tout au pied de la lettre. La force des grandes traditions de sagesse vient de leur capacité de s’affronter à la complexité du réel, de prendre du recul critique et de savoir interpréter les situations à l’aide d’outils dont on sait le caractère insuffisant ou provisoire. L’institution chrétienne a mis du temps à reconnaître la pertinence d’une lecture critique de ses textes « sacrés ». Cela ne s’est pas fait sans conflits ni violence parfois. Souhaitons que d’autres traditions fassent le même chemin, aussi éprouvant soit-il.

Dans un article de mars 2014, Laurence Devillairs invitait à « pratiquer les choses sérieuses de la foi avec l’intelligence de la plaisanterie ». L’humour est un garde-fou contre le puritanisme, cette « maladie de la foi », car le puritain « fétichise la grâce ». Le fondamentalisme n’est pas l’accomplissement de la foi, sa forme la plus « pure », c’en est au contraire le dévoiement.

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