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10 décembre 2018 à 21:56

 

On n'est pas sorti de l'auberge

Par Lilian Alemagna et Dominique Albertini 

 

Dilemme traditionnel pour tout mouvement social. Version 1 : nous avons obtenu une partie de ce que nous voulions, la lutte a payé, on arrête. Version 2 : nous avons obtenu une partie de ce nous voulions, la lutte a payé, on continue. Ainsi, le même syllogisme aboutit à deux conclusions opposées. Pour une raison simple : ce n’est pas la logique qui permet de trancher. C’est le rapport de force.

 

A-t-il évolué ? Un peu. La droite classique, celle des partis, mais aussi une partie de celle qui a manifesté, fait défection. Eric Woerth : «On lève le camp.» Le Figaro : il faut «souhaiter» la fin du mouvement «la raison l’impose, l’intérêt national l’exige». Juppé : il faut saisir «la main tendue», etc. Ce à quoi fait écho la position de certains gilets jaunes «libres», plutôt orientés à droite, qui appellent à plier les gaules. Il faut rappeler que le mouvement comprend un certain nombre de commerçants et de petits entrepreneurs, guère pressés de voir le salaire de leurs employés faire soudain un bond en avant. Et que l’addition (une dizaine de milliards) sera payée par les contribuables ou bien financée par emprunt, ce qui déplaît dans les deux cas à la droite profonde.

 

Les autres protestataires remarqueront que la hausse de la prime d’activité est seulement avancée (elle était prévue sur cinq ans), que les retraités n’ont pas obtenu la réindexation de leurs pensions, que la diminution de la taxe d’habitation reste programmée aux mêmes dates, etc. Ils peuvent juger qu’une poursuite du mouvement permettra de cocher d’autres cases (mais aussi que de nouvelles violences risquent de retourner l’opinion contre eux). Ils notent surtout qu’en dehors d’annonces générales et plus ou moins lointaines et d’une prime de fin d’année laissée à la discrétion des entreprises, les plus aisés échappent à toute contribution supplémentaire.

 

Une nouvelle fois, la fiction d’un dépassement du clivage droite-gauche se dissipe. En épargnant les plus hauts revenus et en protégeant le patronat, le Président s’est adressé, pour faire court, à la droite du mouvement et aux conservateurs du pays. Emmanuel Macron leur a même fait un clin d’œil supplémentaire en évoquant la lutte contre le communautarisme et l’immigration (ce que le mouvement ne demandait pas).

 

Les socialistes, Hamon, Jadot, La France insoumise, continuent de pilonner le gouvernement sur le thème de la justice fiscale et sociale. La majorité elle-même, au cours d’une réunion qualifiée de «houleuse», s’est divisée selon la même ligne de démarcation. Quant à Marine Le Pen, très critique, elle appelle à de nouvelles baisses de taxes, à une nouvelle politique – la sienne – antimondialiste et anti-immigration, mais se garde de parler de hausses de salaires (la revalorisation du smic, d’ailleurs, n’est pas dans son programme). L’extrême droite reste à droite.

 

Résultante ? Le mouvement continue, de toute évidence. Plusieurs appels à un «acte V» ont été lancés. La frange la plus dure, encouragée par les deux extrêmes du spectre politique, continue de rêver d’une démission du Président ou, à tout le moins, d’une dissolution de l’Assemblée nationale. Appuyé sur la droite de l’opinion, le gouvernement résistera de toutes ses forces. Sa position s’est améliorée. Il n’est pas tiré d’affaire.

 

 

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