La guerre du Liban: Une défaite de la civilisation
de Jean-Marie Muller *
Le 9 août 2006
* Écrivain et philosophe, Jean-Marie Muller est le porte-parole national du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN). Dernier ouvrage paru : Dictionnaire de la non-violence (Le Relié Poche).
Le meurtre par larmée israélienne des enfants libanais de Cana, dans la nuit du 29 au 30 juillet 2006, a suscité beaucoup démotion à travers le monde. Lindignation est certes légitime, mais elle ne permet pas de penser la violence. Seule la raison peut percevoir la déraison de la violence. Penser la violence, cest la reconnaître comme inhumaine, comme la négation et le reniement de lhumain dans lhomme. Ce qui se passe au Liban nest pas une catastrophe humanitaire, mais une catastrophe humaine. Cest une défaite de la civilisation. Un petit pays est cassé, fracassé par les armes dun État ivre de sa puissance. La population civile est traitée comme un objectif militaire. Les maisons, les routes et les ponts sont détruits. Ces ruines sont les ruines de lhumanité de lhomme. Dans de telles circonstances, il devient dérisoire de prétendre que larmée israélienne viole les principes du droit international et les lois de la guerre. Elle viole en réalité les lois de lhumanité.
Cette guerre nest pas la continuation de la politique par dautres moyens que ceux de la diplomatie, mais son interruption. LÉtat dIsraël invoque son droit à défendre la sécurité de son peuple. En soi, cette fin est légitime. Mais les moyens de la violence mis en uvre non seulement pervertissent cette fin, mais ils leffacent et viennent se substituer à elle. Ce renversement du rapport entre le moyen et la fin conduit à ce que le moyen tienne lieu de la fin. La violence est recherchée pour elle-même. Elle devient un mécanisme aveugle de destruction, de dévastation et de mort. Israël ne protège pas sa population, mais il agresse et détruit le Liban. Et, ce faisant, il se détruit lui-même.
Les gouvernements dIsraël et des États-Unis affirment que la guerre du Liban est lune des batailles décisives de la lutte contre " le terrorisme ". George Bush proclame quil sagit de dun " affrontement entre les forces de la liberté et les forces de la terreur ", du " combat universel entre la haine et la tyrannie et la paix et la démocratie ". Ces propos extravagants prouvent à quel point le président américain vit hors de la réalité. Certes, le Hezbollah participe lui-même à lescalade de la violence en faisant également fi du principe de distinction entre les civils et les militaires. Confortée par sa représentativité politique et son idéologie religieuse, la milice libanaise affirme que sa cause est juste et sacrée. Elle veut incarner la résistance arabe à linjustice de loccupation israélienne des terres palestiniennes. Cest donc délibérément que le Hezbollah a fait le choix du combat armé et il prouve sur le terrain quil possède une capacité réelle de nuisance contre larmée et la population israéliennes. Mais, en définitive, il senferme lui aussi dans une impasse suicidaire.
À lévidence, il nexiste aucune solution militaire aux conflits du Proche-Orient. Aucune des parties en présence ne peut gagner la guerre. Toutes ont déjà perdu la paix. Une fois de plus, les événements du Liban montrent que la violence est incapable de résoudre les conflits politiques qui opposent les peuples libanais, palestinien et israélien. La violence nest pas la solution, mais elle est le problème politique quil faut résoudre pour espérer créer un processus de paix. Face à la tragédie de la violence, face à son inhumanité, son absurdité et son inefficacité, le moment nest-il pas venu, par réalisme sinon par sagesse, de prendre conscience de lévidence de la non-violence ?
La violence ne peut que construire des murs et détruire des ponts. La non-violence nous invite à déconstruire les murs et à construire des ponts. Cette tâche est autrement difficile. Larchitecture des murs ne demande aucune imagination : il suffit de suivre la loi de la pesanteur. Larchitecture des ponts demande infiniment plus dintelligence : il faut vaincre la force de la pesanteur.
Les murs qui séparent les hommes ne sont pas seulement les murs de béton qui divisent la terre quil faudrait partager. Il existe aussi des murs dans le cur et dans lesprit des hommes. Ce sont les murs des préjugés, des mépris, des stigmatisations, des rancurs, des ressentiments, des peurs. La conséquence la plus dramatique de lactuelle guerre du Liban, cest quelle construit des murs de haine entre le monde arabe et le monde occidental. Seuls ceux qui, dans chacun des camps adverses, auront la lucidité, lintelligence et le courage de déconstruire ces murs et de construire des ponts qui permettent aux hommes, aux communautés et aux peuples de se rencontrer, de se reconnaître, de se parler et de commencer à se comprendre, seuls ceux-là sont des artisans de paix.
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